Nous continuons donc de longer les côtes du Golfe du Bengale. Nous sommes toujours à la recherche du spot qui va nous permettre de récupérer de toutes ces longues heures de route que nous avons effectuées.
Ainsi, nous roulons jusqu’au sud de Chennai où nous avons repéré sur notre application iOverlander une école de surf qui accueille les voyageurs. Quand nous arrivons à Kovalam, il fait déjà nuit, et l’école de surf est fermée. Nous n’osons pas nous poser ici sans la permission du propriétaire. Alors, nous continuons à sillonner les petites routes du quartier pour trouver une place en bord de plage.
Après quelques virages très serrés dans les rues étroites, nous nous retrouvons sur la place du marché aux poissons. Ici, nous nous faisons interpeller par un homme en moto. Il nous dit qu’il possède une école de surf un peu plus loin et que nous pouvons nous installer là-bas. Yannick et moi, nous nous regardons. C’est de là où l’on vient. C’est génial ! Nous faisons donc demi-tour et rejoignons le parking de la Murthy Surf School.
Le lendemain matin, nous faisons donc la connaissance de Murthy, le propriétaire des lieux. Très généreusement, il nous invite à faire « comme chez nous ». Il nous met à disposition les toilettes et les douches de l’école. Je crois que nous allons nous sentir bien ici.
Nous faisons également la connaissance de l’équipe d’instructeurs de l’école : Saïd, Ibbu et Ranzi. Trois jeunes qui ont une petite vingtaine d’années et qui font un métier passion. On adore !!!
J’ai très envie de vous raconter l’histoire atypique de Murthy, un homme passionné qui a fait du surf sa vie.
Bien que l’Inde ait un long littoral qui longe la mer d’Arabie et le golfe du Bengale, les sports nautiques ne sont pas très présents ici. Les Indiens ne savent globalement pas nager et préfèrent largement le cricket.
Murthy est issu d’une famille de pêcheurs. Alors qu’il est encore jeune, il doit abandonner l’école pour subvenir aux besoins de sa grand-mère, de sa mère et de sa sœur, car son père a quitté le foyer. Il devient donc à son tour pêcheur. Mais Murthy est passionné par le surf et son rêve est de pouvoir monter sur une planche.
Malheureusement, la pêche quotidienne ne rapporte pas suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Alors, s’acheter une planche de surf, c’est inimaginable ! Il se sert alors de planches de bois et d’épaves pour apprendre à surfer, en essayant encore et encore.
Il s’entraîne alors pendant des heures, observe les vagues, prend des notes dans sa tête, corrige ses erreurs et perfectionne sa pratique du surf.
En 2004, Jack Hebner, un américain attiré par le côté spirituel de l’Inde, lance le mouvement surf dans le pays. Il ouvre alors son école à Mangalore. Associant astucieusement spiritualité et surf, le surf swami amène ainsi de nombreux surfeurs du monde entier en Inde.
D’autres écoles de surf voient également le jour dans le sud de l’Inde comme à Kovalam, Goa, Chennai, Pondichéry ou sur l’île des Andamans. La tendance étant de combiner le yoga sur la plage avant et après le surf. Cette pratique permet ainsi d’améliorer la coordination du corps et de l’esprit.
Murthy a eu la chance de rencontrer Jack Hebner sur la plage de Kovalam en 2001. Il emprunte la planche du surfeur et en quelques minutes, il chevauche chaque vague comme un pro. Hebner, impressionné, lui laisse son numéro lui demandant expressément de le rappeler. Mais Murthy ayant quitté l’école bien trop tôt, ne connaît pas les codes de la société extérieure et ne sait pas utiliser ce numéro.
Mais inspiré par cette expérience unique, Murthy utilise, contre la volonté de sa famille, ses maigres économies pour s’acheter une vraie planche.
En 2004, le village de Kovalam est frappé par le terrible tsunami dont l’épicentre était situé proche de l’île de Sumatra, en Indonésie. Murthy se consacre alors à rassembler une communauté de villageois afin d’aider à la reconstruction du village. Il s’inscrit dans une ONG locale et donne de son temps pour améliorer la vie des plus défavorisés.
Dans les années qui ont suivies, de plus en plus de personnes ont découvert les spots de surf de la région de Chennai. Tout d’abord des Indiens privilégiés, mais aussi des Australiens, des Américains, des Israéliens et des Européens. Chacun remarque Murthy pour deux raisons : c’est un surfeur remarquablement adroit et un travailleur social dévoué à offrir à son village une véritable union communautaire d’entraide.
Murthy noue alors d’excellentes relations d’amitié avec des gens du monde entier. Certains surfeurs ont partagé leurs techniques de surf avec lui, d’autres lui ont offert des planches, et certains ont mis à profit leurs professions et leurs contacts pour mettre en lumière le talent de Murthy.
En 2007, le surfeur Tobias Hartmann remarque Murthy à Covelong Point. Tobias le voit, une vieille planche de surf sous le bras sur la plage. Ensemble, ils partagent quelques vagues. Au même moment, ils rencontrent également Yotam Agam, un entrepreneur israélien, qui offrira une planche de surf à Murthy.
En homme de cœur, et pour chaque nouvelle planche de surf qu’il recevait, il transmettait son ancienne planche de surf à un jeune de son village n’ayant pas les moyens de s’en acheter une.
Yotam Agam, impressionné par la personnalité de Murthy, qu’il trouve ingénieux, optimiste et prévenant, crée un montage vidéo qui lui est dédié. Il le partage sur YouTube et offre à Murthy une incroyable visibilité auprès de la communauté de surfeurs, mais aussi dans les médias locaux.
L’histoire de ce jeune pêcheur passionné par le surf fait l’admiration de tous. De nombreux surfeurs viennent à Kovalam pour le rencontrer, partager leurs histoires et évidemment pour surfer avec lui.
Murthy commence à participer à de nombreuses compétitions de surf au Sri Lanka, en Inde et en Indonésie. Il y remporte de nombreuses victoires. Il se fait alors remarquer par Arun Vasu, un homme d’affaires de Chennai, passionné de sports. Arun Vasu décide d’accompagner financièrement Murthy et devient son mécène en construisant une école de surf pour Murthy. Il le soutient jusqu’à ce que l’école soit en mesure de subvenir à ses propres frais de fonctionnement.
La Covelong Point Surf School ouvre donc ses portes en novembre 2012. La plage exposée et le récif corallien offrent un surf intéressant. Surfer ici signifie négocier avec des vagues fortes et parfois même dangereuses. L’école quant à elle offre une superbe vue sur la mer, un restaurant et des chambres pour accueillir les surfeurs. Après trois ans, l’école bat son plein et diversifie son enseignement en proposant, en plus du surf, du kayak, du kite surf et même de la planche à voile.
Les instructeurs sont des jeunes pêcheurs locaux, les « garçons de Murthy », qui participent à leur tour à des compétitions nationales.
Malheureusement, la crise sanitaire du Covid est passée par là et elle a énormément affecté son école. Ne pouvant plus subvenir aux besoins de l’école, il a dû alors se séparer de son associé et vendre sa part pour ne pas tout perdre financièrement. Avec les fonds, il a pu reconstruire une nouvelle école, plus modeste. Mais, même s’il donne toujours des cours de surf, tout est à refaire : restauration, chambres…, il faut tout recréer.
Heureusement, Murthy est merveilleusement entouré. Je crois que c’est sa bonté innée, son optimisme et sa générosité qui font qu’il n’abandonne pas. Et, évidemment, sa passion du surf lui ouvre le champ de tous les possibles.
Bien qu’affecté profondément par la perte de sa première école, aujourd’hui, Murthy a su rebondir et retrouver la force de remonter son école. Il donne des cours à des surfeurs novices ayant l’envie d’apprendre. Ses « garçons » sont d’une bienveillance inouïe. Sa femme, qui elle aussi a beaucoup souffert de la perte de leur école, est toujours présente à ses côtés, plus déterminée que jamais.
Qu’est-ce qu’il faut à Murthy ? Des planches de surf en bon état (car celles qu’il a ont beaucoup souffert, mais il n’a pas les moyens d’en racheter), que l’on parle de lui encore et encore pour remplir son école d’étudiants ! Et, évidemment, si vous venez en Inde, venez prendre des cours de surf avec lui !!!
Nous restons ainsi pendant 10 jours auprès de Murthy. Nous avons même eu le plaisir de fêter les un an de son école. Et Yannick se lance dans l’apprentissage du surf. Une belle occasion d’apprendre ce sport qui lui fait de l’œil depuis l’enfance.
C’est Saïd qui le suit pendant ses 7 leçons. Jour après jour, il repart à l’assaut des vagues. Même ce n’est pas facile, il arrive, petit à petit, à surfer ses premières vagues et se découvre alors une nouvelle passion ! Le challenge est d’autant plus intéressant qu’ici les vagues sont tous les jours différentes. Si les premiers jours elles sont plutôt calmes, donc idéales pour commencer, les jours suivants, un vent fort venant de la mer s’invite et lui offre de belles vagues pour pouvoir rapidement progresser.
Les belles rencontres que nous faisons ici, nous font nous sentir un peu comme dans une bulle de bienveillance et de bien-être. Nous nous sentons comme si nous étions en famille. Murthy propose aux enfants de prendre des body boards afin qu’ils acquièrent plus d’aisance dans la mer pour les aider à nager librement. Les enfants sont ravis de cette proposition. Ils passent alors du temps à apprivoiser les vagues et les courants en autonomie.
Après ces quelques jours, nous sentons l’envie de changer d’air et décidons donc de bouger un peu. Direction le sud de Kovalam…